PRESENTATION
Kuppamal a 45 ans, elle est mariée depuis 30 ans. Elle a trois enfants, deux fils et une fille avec qui elle habite. Il n’y a encore pas si longtemps, elle habitait avec ses beaux-parents mais maintenant ils sont décédés. Elle habite le village de Pandachozhanallur depuis qu’elle s’est mariée. Auparavant elle habitait dans le village de ses parents, à vingt kilomètres. Kuppamal n’a pas été à l’école, elle ne sait ni lire ni écrire, seulement un peu compter et signer des documents. Elle fait partie des Dalit, c’est à dire des Intouchables qui sont selon le système indien, hors-caste et représentent environ 160 millions de personnes à travers le pays.
SA JOURNEE DE TRAVAIL
Elle se lève tôt, vers 5h30, avant qu’il ne fasse trop chaud. Elle s’occupe de nettoyer la maison, traire les vaches, leur donner à manger, préparer le petit-déjeuner pour les enfants. Vers 8h, elle part pour les champs, à quinze minutes à pied de sa maison. Elle se couvre la tête d’un foulard pour se protéger du soleil, retrouve ses collègues et effectue pendant 5h durant la tâche agricole du jour. Elle travaille avec cinq ou six autres femmes qui comme elle, manient la faux, la pioche et les grands sacs en plastique épais avec lesquels elles transportent les fruits ou les légumes jusque sous un arbre où elles les pèsent et les trient avant qu’ils ne soient acheminés par camion.
Kuppamal perçoit un salaire de cent roupies par jour travaillé, soit 1,20€ environ.
Avant de rentrer, elle prend trente minutes pour couper de l’herbe pour les vaches. Le propriétaire des terres l’autorise à récolter les herbes qui envahissent le sol de la bananeraie. Elle rassemble le tout en un lourd fagot qu’elle porte ensuite sur la tête sur tout le chemin du retour.
Elle revient chez elle vers 13h, lorsque la chaleur est à son comble. Elle mange un peu, s’occupe à nouveau des animaux, cuisine pour le dîner, sert d’abord son mari et ses fils puis dîne après avec sa fille. En effet, les femmes ne mangent jamais en même temps que les hommes. Elle se couche vers 21h alors qu’il fait nuit depuis déjà trois bonnes heures. Selon l’alimentation électrique de la zone dont dépend le village, il faut s’éclairer aux bougies ou bien se servir avec parcimonie des quelques ampoules présentes dans la maison.
SON HISTOIRE
Elle a commencé à travailler dès qu’elle s’est mariée, à 15 ans et a toujours été agricultrice. Elle cultive le riz, les bananes, les aubergines, les tomates et la canne à sucre, selon les saisons. Tous les produits sont destinés au propriétaire des terres qui lui verse un salaire journalier et revend ensuite les fruits et les légumes à différents marchés et même à celui de Chennai, un grand marché à plus de 4h d’ici.
C’est sa belle-mère, sa belle-soeur et son mari qui lui ont appris à travailler la terre, lorsqu’elle est arrivée dans le village, après son mariage. Sa mère et sa grand-mère étaient agricultrices également mais travaillaient bien plus dur car la mécanisation n’avait pas encore permis de leur faciliter certaines tâches et elles devaient tout faire à la main.
EN CUISINE
Elle cuisine des bananes frites, des sauces tomates et du dhal aux aubergines avec les produits qu’elle cultive. Elles sont deux aux fourneaux car sa fille l’aide souvent à cuisiner. C’est sa mère puis, après son mariage, sa belle-mère et sa belle-sœur qui lui ont appris à cuisiner. Il y a bien une recette qu’elle transmet de génération en génération, c’est du poisson séché qui cuit dans une sauce au tamarin. Il y a un petit marché local dans le village et un autre un peu plus grand dans le village voisin où elle peut acheter les produits qu’elle ne cultive pas.
SON RESSENTI
Ce qu’elle préfère dans son travail c’est replanter le riz. Ce qu’elle aime le moins c’est défricher et couper les mauvaises herbes. Son moment préféré de la journée c’est lorsqu’elle rentre des champs, en début d’après-midi et qu’elle prend une pause pour le déjeuner, assise à l’ombre devant la maison, discutant avec son mari ou les voisins.
Selon elle ce n’est pas un travail difficile que le travail agricole, il faut prendre le temps de bien le faire : c’est tout. Elle a plaisir d’ailleurs à transmettre son savoir aux jeunes femmes qui débutent dans les champs. Son travail a un peu changé depuis qu’elle a commencé mais seulement parce qu’elle trouve qu’elle n’est plus toute jeune et qu’elle n’a plus la même énergie que lorsqu’elle a commencé à 15 ans, précise-t-elle en riant franchement.
Le travail dans les plantations de légumes, de fruits ou de riz est exlusivement féminin. Ca ne lui semble pas plus difficile d’être une femme sauf peut-être parce qu’elle a un peu moins de force qu’un homme.
DES ECONOMIES POUR PALIER AUX BESOINS DES FEMMES
Et puis, entre femmes, Kuppamal et ses collègues ont réunis leurs économies sur un compte commun et lorsque l’une d’entre elles a besoin d’argent, elle peut emprunter : un système d’entraide agricole féminin très répandu dans les villages indiens.
Après 30 ans de travail, elle aimerait bien avoir ses propres terres mais c’est très cher, l’équivalent de 35 lakhs (soit environ 45 000€).
Elle pense qu’il n’y a rien à faire pour améliorer ses conditions de travail, ni même d’outils plus appropriés. Tout lui semble adapté à ses besoins et à sa façon de travailler. Quant aux qualités nécessaires, elle pense qu’il faut de la patience et de la force de caractère, aux champs comme en famille d’ailleurs, ajoute-t-elle en souriant.
SES ASPIRATIONS
Selon elle, le travail agricole va être moins conséquent dans les années à venir car la mécanisation va supprimer certaines tâches. De plus il y a une crise qui touche l’agriculture et les salaires sont en baisse. Elle aimerait avoir plus de vaches car elle aime prendre le temps de les traire ou de leur amener à manger.
Malgré tout, Kuppamal est très fière de son métier et elle n’aurait pas imaginé en exercer un autre. Selon elle, la terre est comme un dieu et elle prie afin que les récoltes soient bonnes. Elle est heureuse de la vie qu’elle a et elle souhaite juste pouvoir continuer à la mener ainsi encore longtemps.
Kuppamal a déjà vu la mer car elle est très proche, à Pondicherry, à 20km de son village. Mais elle n’a pas beaucoup visité son pays. Elle est allée jusqu’à Chennai, la plus grande ville de la région, à 200km de chez elle mais elle n’est même jamais sortie du Tamil Nadu, sa région natale.
Son rêve : que ses enfants aient une vie meilleure que la sienne. Son regret : elle aurait aimé avoir des frères et sœurs alors qu’elle est fille unique. Ses craintes : aucune si ce n’est les serpents qui lui font vraiment peur, avoue-t-elle en riant.