PRESENTATION
Arrumbu est issue de la population indienne tribale qui représente environ 8% des habitants du pays. Dans le système de castes anciennement de rigueur, les tribaux étaient considérés comme les intouchables c’est-à-dire hors caste et tout en bas de l’échelle sociale, avec très peu de droits et de reconnaissance. Arrumbu est mariée depuis 30 ans mais son mari travaille en Arabie Saoudite depuis vingt-sept ans et ne rentre en Inde qu’une fois tous les trois ans. Aujourd’hui, elle a 46 ans, et a eu 4 enfants, trois fils et une fille. Elle habite avec sa mère, un de ses fils, sa belle-fille et leurs deux enfants dans le village de Thottithoppu, à une heure et demie en voiture de Pondichéry.
THOTTITHOPPU
Elle est arrivée dans le village lorsqu’elle avait 15 ans, juste après son mariage. A ce moment-là, seulement 10 à 15 familles vivaient là. Aujourd’hui, il y en a environ 70. La plupart d’entre elles ont un petit jardin attenant à la maison qu’elles cultivent pour leur consommation personnelle. D’ailleurs, tout le village vit de l’agriculture, travaillant dans les rizières alentours pour la majorité de ses habitants. Chacun contribue également à la construction de nouveaux bâtiments. Lorsque cela est nécessaire, ils s’unissent pour agrandir une maison ou pour réparer les dégâts d’une mousson dévastatrice.
SON TRAVAIL DANS LES RIZIERES
Elle travaille dans les rizières depuis qu’elle a l’âge de 7 ans. Elle sait donc arracher les mauvaises herbes qui envahissent les champs et qui représentent une partie importante de son travail. Elle a appris par la suite, après avoir eu ses 4 enfants, à replanter le riz, ce qui lui donne une qualification supplémentaire. Lorsque c’est la saison, c’est à dire trois fois par an dans cette région de l’Inde, elle est aussi dans les champs, pour les récoltes évidemment. Et s’il n’y a pas de travail dans les rizières, elle s’occupe d’élever ses chèvres. Chaque journée de travail, elle est rémunérée 110 roupies, ce qui représente 1,30€. Lorsqu’elle a commencé à travailler à 7 ans, le salaire qu’elle percevait en tant que fillette était de 5 roupies seulement, soit moins de dix centimes d’euros.
Arrumbu ne travaille dans les rizières que deux ou trois jours par semaine, selon les besoins et la saison. Elle n’est pas propriétaire de ses champs et travaille pour un chef d’exploitation local. Pour l’instant, il n’y a aucune machine pour effectuer son travail et elle doit tout faire à la main. Il y a quelques années, elle avait le droit d’emporter une quantité limitée du riz qu’elle cultivait. Dorénavant ce n’est plus possible et elle doit acheter son propre riz.
C’est avec les femmes qui travaillaient dans les rizières qu’elle a appris son travail lorsqu’elle était encore une enfant. Elle les regardait faire attentivement et répétait leurs gestes consciencieusement.
Elle a très peu d’outils, juste une faux et un tamis et effectue la majorité du travail manuellement.
Dorénavant elle travaille avec sept à dix autres femmes qui se retrouvent tous les matins dans les rizières. Ce qu’on peut voir alors : toutes les couleurs vives des saris au milieu du vert éclatant et les silhouettes féminines pliées en deux par l’exercice physique exigé. L’ambiance y est joyeuse et parfois elles entonnent toutes ensemble un chant indien qui résonne jusqu’aux parcelles de canne à sucre, à côté des rizières.
Arrumbu aime bien retrouver ses collègues mais ce ne sont pas des amies, elles partagent uniquement le temps de travail. Elles échangent quelques mots sur le chemin du retour et chacune rentre chez elle, poursuivant sa journée de travail domestique.
Arrumbu ne trouve pas son travail difficile mais admet cependant qu’elle n’est pas paresseuse pour rester des heures durant en plein soleil, le dos courbé et arpentant pieds nus la terre imbibée de plusieurs centimètres d’eau. Les qualités qu’elle estime nécessaires sont la force mentale et beaucoup d’énergie.
UNE JOURNEE DE TRAVAIL
Arrumbu se réveille à 6h du matin, au plus tard. Elle fait la vaisselle de la veille avec sa belle-fille. Pour cela, il faut se rendre à l’arrivée d’eau aménagée via un seul robinet, à 50 mètres en face de la maison. Grâce à un paravent de bambou, c’est là aussi qu’elle fait sa toilette, toujours vêtue pour ne pas attiser les regards des hommes. Elle prépare ensuite le petit-déjeuner pour les enfants avant qu’ils ne partent à l’école et nettoie la maison. Mais avant de partir travailler, elle n’oublie jamais le Kolam, un motif géométrique éphémère qu’elle dessine à même le sol avec de la poudre de riz. Il est destiné à souhaiter la bienvenue ou à porter chance et prospérité à l’entrée des maisons ou des commerces. Elle se rend ensuite dans les rizières, y travaille jusqu’à 13h ou à peu près, selon l’heure à laquelle le propriétaire veut bien la libérer, elle et ses collègues. Elle rentre à la maison, mange quelque chose et amène ensuite les chèvres paître. A son retour, ses petits-enfants sont rentrés de l’école, elle prépare le dîner avec sa belle-fille et sa mère, qui même âgée, se met encore aux fourneaux. Tout le monde dîne assez tôt et les enfants vont au lit. Lorsqu’il y a de l’électricité, elle regarde un peu la télévision et va à son tour se coucher, à 21h au plus tard.
L’AVENIR DE SON TRAVAIL
Quand on lui demande si elle va transmettre son savoir, elle dit en riant qu’elle a déjà évoqué bon nombre de regrets lors de l’interview alors elle ne peut pas encore se plaindre à cette question. Pourtant avec la mécanisation grandissante elle pense qu’elle ne transmettra pas son savoir aux générations suivantes et elle le regrette un peu.
Arrumbu sait qu’elle aura de moins en moins de travail et même l’arrachage des mauvaises herbes pourrait être remplacée par des machines prochainement. Elle espère juste que ça ne sera pas avant qu’elle arrête de travailler c’est à dire dans 10 ans, lorsqu’elle aura 55 ou 56 ans.
UNE HISTOIRE DE FEMMES
Ce qu’elle préfère c’est s’occuper de ses chèvres, lorsqu’elle rentre du travail et qu’elle a le temps de les amener paître, pas très loin de sa maison, à 200 mètres environ. Arrumbu a bien une petite parcelle de terre mais elle ne lui appartient pas vraiment. C’est plutôt une sorte de location dont elle peut exploiter le riz pour la consommation de la famille.
La seule différence selon elle entre un homme et une femme travaillant dans les champs et que la femme se soucie bien plus de sa famille et sa journée de travail ne s’arrête pas lorsqu’elle rentre chez elle. Elle sait bien que c’est à elle d’effectuer les tâches domestiques et de prendre soin des siens. Dans son cas en particulier, c’est elle qui s’occupe d’absolument tout. Son mari n’envoie jamais d’argent d’Arabie Saoudite et ne contribue donc en rien aux besoins de la famille. Tout repose sur les épaules d’Arrumbu. Dans la sphère privée, tout est une affaire de femmes car le seul homme qui habite dans la maison est son fils qui ne travaille pas. C’est elle ou sa belle-fille qui cuisinent, qui nettoient, qui s’occupent des enfants, qui font la vaisselle et qui vont travailler pour avoir un revenu régulier. Elle s’entend bien avec sa belle-fille avec qui elle cohabite depuis le mariage de son fils. Mais forcément elles ont quelques désaccords. Par exemple, cette dernière a tendance à lever la main sur les enfants de temps en temps lorsqu’ils ne sont pas sages et ça Arrumbu n’aime pas trop.
Sa mère n’était pas agricultrice mais travaillait à confectionner des briques, les faire sécher et les transporter. Si elle avait un travail différent du sien, en revanche c’est elle qui lui a appris toute la cuisine végétarienne alors que c’est sa belle-mère qui lui a appris à cuisiner la viande, pour les currys par exemple. Même si la religion hindoue interdit de manger de la viande, il lui arrive de cuisiner du poulet ou du canard, comme beaucoup le font de temps en temps. Lorsque sa belle-fille est arrivée dans la famille, elle savait déjà tout cuisiner, aussi Arrumbu n’a pas eu besoin de lui apprendre. La recette qu’elle tient de sa mère et qu’elle aime cuisiner, c’est celle du dhal -un plat de lentilles qui accompagne tous les repas mais qui varie selon les épices, la sauce et les lentilles choisies-. Quant aux produits qu’elle ne cultive pas, elle peut se les procurer chaque dimanche, dans un village voisin où se tient un petit marché, non loin de là.
SES CONFIDENCES
Elle est très fière de son travail surtout parce qu’elle fait tout par elle-même et ne dépend de personne financièrement. Une belle revanche pour quelqu’un qui n’a pas eu la chance d’aller à l’école, qui ne sait ni lire ni écrire mais seulement compter un petit peu et signer les documents importants. Arrumbu n’aurait pas imaginé exercer un autre métier, mais pour ses petits-enfants, garçon ou fille, elle aimerait qu’ils puissent accéder à des professions supérieures telles que docteur ou ingénieur. Seulement, il y a juste son fils qui est à Dubaï qui se soucie de l’éducation des enfants, mais ce ne sont que ces neveux et nièces, pas même ses propres enfants. Leur père est au village mais elle déplore qu’il ne se préoccupe guère de l’éducation de son fils et de sa fille.
SES SOUHAITS
Ce qu’elle aimerait vraiment c’est que son mari rentre d’Arabie Saoudite et qu’ils puissent aller ensemble à Tirupati, un temple célèbre à l’est de l’Inde où les hindous vont se recueillir et offrir leurs cheveux aux divinités. Un de ses fils –celui qui travaille en Arabie Saoudite avec son mari- n’est pas encore marié. Ils essayent avec persévérance de lui trouver une femme –en Inde, la grande majorité des unions sont encore le fruit de mariages arrangés- et une fois chose faite, son mari rentrera définitivement en Inde.
Quand on demande à Arrumbu quels sont ses rêves, elle répond que c’est de marier son fils car c’est aussi son principal regret pour l’instant et une préoccupation récurrente. En fait, il est tombé amoureux d’une jeune femme qu’il désirait profondément épouser. Mais la famille n’a pas donné son accord alors le mariage n’a pas pu se faire et depuis il n’a voulu en épouser aucune autre.
A l’une des dernières questions où on lui demande si elle est heureuse de la vie qu’elle mène, Arrumbu répond que non. Non parce qu’elle a 4 enfants et si sa fille est heureuse en mariage et a deux enfants, elle est inquiète pour ses trois fils. Le premier qui habite Chennai est marié depuis dix ans mais ne parvient pas à avoir d’enfants. Le second qui habite au village avec elle ne travaille pas et passe la plupart de son temps à boire, ne s’occupant pas de ses enfants. Quant au troisième, c’est celui qui à son grand désespoir n’est toujours pas marié.
Si elle pouvait changer quelque chose dans sa vie, elle aimerait que sa famille soit plus prospère. Pour le village elle aimerait que les enfants aient un meilleur accès à l’éducation et qu’ils puissent tous suivre des études.
Arrumbu a déjà vu la mer bien sûr car elle habite près de la côte mais à bien y réfléchir la dernière fois qu’elle y est allée c’était lorsque son fils était encore bébé c’est à dire il y a plus de vingt ans. Elle ne se plaint pas cette fois-ci, c’est juste que son travail dans les champs et son travail de femme ne laissent pas beaucoup de temps pour s’échapper du village. Selon elle, les femmes sont plus fortes que les hommes car elles peuvent tout faire : prendre soin de leur famille, aller travailler et gagner leur propre argent et donc leur indépendance financière et ce, même en Inde…