PRESENTATION
Ana a 39 ans, elle est mariée depuis quatorze ans et a sept filles qui ont entre 14 et 3 ans.
Elle habite Upolu, la principale île des Samoa et plus précisément dans le village de Faleasiu. Elle habite avec son mari et cinq de ses filles. Au début de son mariage et avant d’avoir tous ses enfants, elle habitait dans la maison de ses parents, pas très loin de la sienne.
Ana est allée à l’école jusqu’au lycée et a ensuite étudié pour devenir infirmière mais elle n’a pas pu poursuivre jusqu’au diplôme. Sa famille n’avait pas les moyens de payer ses études alors elle a du revenir travailler à la ferme avec eux. Une fois qu’elle est devenue agricultrice à son compte, elle n’a plus jamais envisagé un autre métier. Pouvoir nourrir sa famille et survenir à ses besoins est aujourd’hui un honneur pour elle.
UNE JOURNEE DE TRAVAIL
Ana se réveille tôt, vers 4h30, elle prépare le petit-déjeuner pour les filles, les aide à se préparer, les amène à l’école et reste avec Luana, la petite dernière de trois ans. Elle fait la lessive, travaille sa terre, prépare le déjeuner, puis elle retourne dans les champs, va chercher les filles à l’école et rentre à la maison avec toute sa petite tribu. Elle prépare ensuite le dîner, les aide à faire leurs devoirs avant de passer à table puis se couche à 22h30, alors que les filles dorment depuis déjà un bon moment dans l’unique chambre de la maison.
Trois fois par semaine, elle prend le bus et amène ses légumes fraîchement récoltés à l’ONG qui les lui achète à Apia, la capitale du pays -37 000 habitants-. Il y a toujours une ou plusieurs de ses filles qui l’accompagnent, portant le petit sceau des piments dans le bus et se faisant acheter une gourmandise en ville. Lorsqu’Ana reprend le bus pour rentrer avec ses paniers vides, il y en a toujours une qui s’est endormie sur son épaule avant d’arriver à la maison.
SON HISTOIRE
Ana est agricultrice depuis très longtemps car elle a appris le travail de la terre avec ses parents lorsqu’elle n’était encore qu’une petite fille. Elle en a fait son activité principale et sa source de revenus lorsqu’elle avait 20 ans.
Elle a été comptable auparavant et a aussi travaillé dans une usine locale.
Parfois, elle travaille dans un hôtel où elle nettoie les chambres, lorsque les récoltes sont mauvaises et ne lui rapportent pas des revenus suffisants.
Sa mère a travaillé la terre toute sa vie. Ses grands-mères étaient agricultrices également et travaillaient très dur : elles confectionnaient des matelas tressés en feuilles de pandanus séchées et récoltaient les fèves de cacao. Elles faisaient griller les graines, les écrasaient en une pâte noire qu’elles vendaient ensuite sur les marchés. C’est encore aujourd’hui la boisson nationale : un chocolat composé de cacao grillé, d’eau chaude et de sucre que les samoans boivent toute la journée.
Ana pense qu’elle a la chance d’en savoir plus que ses grands-mères concernant l’agriculture et peux travailler d’une manière plus efficace. De plus, elle utilise des techniques plus modernes et sait cultiver de manière organique sans abimer la terre et sans utiliser de produits chimiques.
DANS LES CHAMPS
Ana est propriétaire de ses terres, soit la moitié d’un hectare (son jardin) ainsi que dix hectares (le terrain de ses parents). Elle cultive en petite quantité mais beaucoup de légumes : des tomates, des king-kong –légumes avec de fines feuilles vertes-, des laupele –épinards samoans- des haricots serpents, des concombres, du poivre, des citrouilles, des aubergines, des haricots longs, des oignons nouveaux, du piment, du taro, des choux rouges et des choux verts. Concernant les fruits, on trouve tout autour de sa maison des vii –fruit tropical- des oranges, des bananes, des papayes, des noix de coco, des fèves de cacao ou encore des ramboutans.
Elle les cultive pour nourrir toute sa famille mais revend la majorité des produits à l’ONG locale « Women in business » qui les lui achète pour des restaurants entre autres.
L’ONG l’aide beaucoup car non seulement ils revendent ses produits mais communiquent également quant à son travail dans les médias locaux.
Elle travaille avec son mari et ses filles qui sont toujours là pour l’aider. La plus jeune dont elle prend soin toute la journée avant qu’elle n’ait l’âge d’aller à l’école, les plus âgées, lorsqu’elles en reviennent, au milieu de l’après-midi. Elles savent déjà toutes arracher les mauvaises herbes, arroser les plants ou manier la brouette. Aussi, lorsqu’on aperçoit Ana dans son jardin, il y a toujours de petites silhouettes participatives qui s’affairent autour d’elle.
Son mari, quant à lui est charpentier et n’est dans les champs avec elle que lorsqu’il n’a pas de travail.
Ses outils sont la pelle, la machette, la brouette, le râteau et la pioche. Elle aurait besoin d’équipements supplémentaires mais n’a pas encore les revenus suffisants pour les acheter.
Ce qu’elle préfère c’est récolter les légumes. Ce qu’elle n’aime pas du tout c’est arracher les mauvaises herbes qui lui blessent les mains. Son moment préféré c’est la fin de journée, lorsqu’elle se retrouve avec son mari et partage des moments précieux avec ses filles.
Ana trouve que le travail de la terre est difficile, elle transpire toute la journée et sa peau a déjà trop souffert du soleil. De plus, être une femme rend le travail plus dur car après les champs, il faut s’occuper de la maison et des enfants. Il n’y a pas beaucoup de répit.
Mais elle admet qu’elle a de très bonnes conditions de travail dans ses champs car elle a plein d’idées : elle utilise son propre compost au lieu de fertilisants chimiques par exemple. De plus, elle aime beaucoup partager son expérience avec d’autres agriculteurs Ils se donnent de précieux conseils pour mieux optimiser leurs productions. D’ailleurs, Ana a déjà commencé à transmettre son savoir et son savoir-faire à de jeunes agriculteurs et tente de les persuader que c’est un travail très honorable.
LA CUISINE D’ANA
Avec tous ses légumes, Ana prépare des soupes, des salades et des smoothies avec les fruits qu’elle récolte. Une recette qu’elle aime bien : un des plats traditionnels du dimanche : du poulet coupé en petits morceaux qu’elle place à l’intérieur d’une citrouille, accompagné de taro au lait de coco, le tout cuit ensuite sur des pierres chaudes et étouffé par des feuilles de bananier –technique du Umu, appelée ainsi aux Samoas-.
C’est toujours Ana qui cuisine pour toute la famille. Mais lorsqu’elle est trop fatiguée elle se rend à la maison de sa mère pour laisser cette dernière préparer le repas pour tout le monde. Elle a commencé à apprendre à ses filles à cuisiner, les recettes élémentaires que la famille mange tous les jours. On voit déjà les trois plus grandes s’affairer dans le jardin, l’une faisant la vaisselle, l’autre amenant à sa mère les légumes frais.
Quant aux produits qu’elle ne cultive pas, Ana les achète au supermarché avec l’argent de ses récoltes. Souvent, elle fait les courses juste après avoir déposé ses légumes à l’ONG, elle a alors les bénéfices de ses ventes et peut acheter ce qui manque. Luana, la petite dernière qui la suit toujours, réclame souvent une paire de chaussures neuves dont elle raffole.
CONFIDENCES
Ana se souvient d’un souvenir marquant en tant qu’agricultrice : il y a environ dix ans, elle a été très déprimée après avoir perdu un fils en bas âge, elle ne parvenait plus à travailler, restait à la maison prostrée et n’avait en conséquence pas beaucoup d’argent. Puis, après une longue période de léthargie, elle s’est remise à travailler, a repris son activité d’agricultrice et a pu à nouveau nourrir sa famille et payer l’école de ses filles. Elle était très fière et ne veut plus jamais baisser les bras comme elle a pu le faire. Maintenant elle se sent plus forte et continue son travail la tête haute. Lorsqu’on lui demande un regret, Ana évoque cette période où elle a perdu son bébé et où elle n’était pas en mesure de nourrir sa famille qui avait faim.
Ana ne veut plus enfants et après sa septième fille elle a subi une opération afin de ne pas en avoir d’autres. C’est difficile d’avoir seulement des filles car selon elle, cela coûte plus cher, elles veulent toujours quelque chose.
Son futur : travailler dur, pouvoir payer l’école pour ses filles, nourrir toutes les bouches et donner aussi des légumes au pasteur de l’église où la famille se rend chaque semaine.
Ana est très fière de son travail car il la nourrit et elle peut en vivre. Mais la tâche la plus importante à ses yeux : prendre soin de sa famille.
Elle a très peur des phénomènes naturels tels que les ouragans qui détruisent toutes ses récoltes, réduisent ses revenus et dans une certaine mesure nuisent au futur de ses filles et ce qu’elle souhaite leur offrir.
SES ASPIRATIONS
Ana imagine ses filles travaillant dans des banques, des entreprises mais pas dans les champs car elle sait à quel point c’est difficile. Bien sûr elle serait fière si l’une d’entre elle voulait vraiment exercer son métier, mais elle ne les forcera pas.
Ana aimerait beaucoup aller aux Etats-Unis pour leur apprendre comment cultiver de manière biologique et aux îles Salomon où elle pourrait apprendre de nouvelles techniques agricoles propres à ce pays.
SENSIBLE ET GENEREUSE
Ana rêve de pouvoir satisfaire les besoins des samoans grâce à sa ferme, continuer à subvenir aux besoins de sa famille et aider ceux qui en ont besoin, en leur donnant des légumes par exemple afin qu’ils puissent manger sainement. Il y a quelques jours encore, elle a récolté les derniers légumes mûrs de son jardin et les a donnés à une connaissance qui était venue la voir et qui n’a pas les moyens de les acheter. Ana a un très grand cœur même si très modestement elle ne le montre pas.
Deux de ses filles ne vivent pas avec elle. L’ainée de 14 ans qui est née aux Samoas américaines et a ainsi la nationalité américaine habite là-bas avec la sœur d’Ana. Cette dernière n’est pas triste car elle sait qu’elle est très chanceuse de pouvoir étudier là-bas. Quant à Marieta, sa fille de 8 ans, lorsqu’elle n’avait pas assez d’argent, elle l’a fait adopter par son cousin. Il l’a amenée en Nouvelle-Zélande afin de lui assurer un futur meilleur. Cela ne s’est pas très bien passé avec la femme de son cousin qui est tombée malade. A présent ils sont revenus et la mère d’Ana prend soin de sa fille. Ana voudrait en récupérer la garde maintenant et elle est très triste de ne pas avoir sa fille auprès d’elle. Lorsqu’elle en parle et évoque son différend avec sa famille, ses yeux s’emplissent de larmes et elle est très émue. Mais Ana ne se plaint pas, elle essuie ses yeux embués, sourit à nouveau et sait que tout sera résolu bientôt.
Ana a également une pensionnaire particulière, une jeune de 19 ans qu’elle a recueillie alors qu’elle se prostituait. N’ayant pas de famille pour la soutenir, Ana lui a proposé d’habiter la cabane dont elle dispose au fond du jardin. En échange elle l’aide un peu pour les tâches domestiques et les travaux des champs.
Ana avoue que son mari est un homme très bon, il l’aide dans les champs alors qu’il travaille comme charpentier, il s’occupe de beaucoup de choses dans la maison, notamment de la lessive et prend soin de toutes ses filles.
Chaque dimanche matin, Ana et toute sa famille vont à l’église. C’est un jour spécial. En général, ils ont cuisiné la veille chez sa mère, avec son frère et sa soeur. Avant le lever du soleil ils préparent le petit-déjeuner pour les filles qui vont au catéchisme. Puis tout le monde assiste à l’office et rentrent déjeuner. Les filles retournent ensuite à l’église ou alors tout le monde fait la sieste et va ensuite se baigner dans l’océan, juste en face de la maison. Ana accompagne les filles qui amènent même Po-Po le chiot de la famille, pour se baigner. Du haut des grosses pierres noires, elle surveille sa tribu ou finit par descendre dans l’eau elle aussi et jouer avec ses filles.
Ana est heureuse, très heureuse même de la vie qu’elle mène, elle ne changerait rien et souhaite juste continuer à travailler la terre et prendre soin de sa famille.
Le plus important c’est d’avoir de l’argent certes, mais surtout de passer du temps avec ses enfants et son mari et d’avoir à manger chaque jour sur la table.
Elle est extrêmement fière d’être agricultrice, elle en tire les bénéfices chaque jour, elle a à manger pour tout le monde et sait qu’elle donne des aliments sains à ses filles. De plus, c’est une activité complète, pas besoin d’aller à la zumba dit-elle en riant. Sa vie c’est de la zumba, elle transpire au travail, elle danse entre les champs et l’école, la cuisine au fond du jardin et la chambre de ses filles qu’elle regarde toutes endormies dans le même lit. Aucun doute en la voyant sereine et comblée, qu’Ana a trouvé son pas de danse sous le soleil des Samoa.